Enseigne manufacture Morel et Gate
Sur les pas de l 'entreprise Odorico en région Notre visite commentée nous conduit rue d'Antrain au dernier étage de l'épicerie Valton remarquable pour son architecture en métal et verre surmontée d'une partie maçonnée s'ouvrant sur des arcs plein-cintre décorés par Isidore Odorico père dans un style néo-renaissant, style que l'on retrouve par exemple sur le tympan de l'église de Châtillon-en-Vendelais. Les mosaïques exécutées par l'entreprise Odorico sont nombreuses et par comparaison montrent l'évolution de leur iconographie. Par exemple, à Fougères, le tympan de l'ancienne maternité est classique par le style et par ses thèmes : le blason de la ville, les rubans, les formes végétales et l'écriture laquelle associe lettres celtiques tardives et écriture lombarde. Ces lettres contrastent avec celles utilisées pour désigner le nom des propriétaires à l'entrées des bâtiments Barbier, Langlois et Morel et Gaté. A l'entrée de leurs entreprises, les initiales d'Alexandre Langlois et celles d'Ange Morel sont « résolument modernes ». Elles sont imbriquées dans des figures géométriques elles-mêmes contenues dans un paillasson d'entrée en mosaïque chez Langlois (aujourd'hui disparu) et dans un médaillon octogonal chez Morel et Gaté. L'Art nouveau promouvait une décoration exubérante, l'Art déco la voulut élégante, raffinée, beaucoup plus discrète. Avenue Janvier, Odorico ne travaille pas sur toute la façade comme dans la « maison bleue » d'Angers, qui en est le parangon, mais seulement au premier et dernier étages. Dans les deux endroits mais bien différemment, il crée une présence décorative qui sublime la construction. Précédés de notre guide, nous entrons dans quelques magasins où la première génération Odorico emploie des motifs classiques : entrelacs, rinceaux, volutes... utilisés en frises, en bandeaux, en bordures de « tapis » et de « paillassons ». Le tapis qui est une surface en mosaïque étendue au sol fonctionne comme un revêtement textile et en a la même fonction d'appropriation décorative et utilitaire de l'espace où il est posé. Le paillasson en mosaïque dans une entrée nous arrête, nous fait nous incliner et frotter nos chaussures. Mais cet espace de transition fonctionne plus comme stimulus visuel que comme essuie-pieds. Les décors mis en œuvre pour recouvrir le sol sont en grès cérame, technique introduite par Brongniart au XIXéme qui utilise un argile cuit à très haute température ; c'est un matériau compact, hygiénique et résistant aux nombreux passages. Les tesselles de grès cérame montrent une grande longévité puisque, centenaires, elles défient le temps. Notre œil voyage sur ces tapis richement colorés où la seconde génération Odorico joue avec la circularité : disques, cercles entrecoupés, entrelacés ou libres, figures rayonnantes bordées de motifs classiques ou modernes. Vague de mosaïque dans les lieux aquatiques Isidore Odorico père se montra un excellent artisan, chaleureux et généreux. Son fils, développa un sens artistique plus contemporain acquis à l'école des Beaux-arts de Rennes. Cette compétence lui permit de moderniser le langage formel et coloré de ses projets et de l’adapter aux lieux. A la piscine Saint-Georges, méandres, vaguelettes, ondulations, accompagnent le nageur le long de sa ligne d'eau. Le début du XXème siècle fut gagné par des idées hygiénistes. A Rennes comme ailleurs, l'eau devint symbole de propreté, de bien-être, d'activité sportive et de loisir ; la mosaïque apparaît alors comme un matériau approprié car résistant, facile à entretenir mais aussi décoratif grâce à sa polychromie. Outre son intervention à la piscine municipale, l'entreprise Odorico va traiter des chantiers publics et privés : bains-douches dans les villes, fontaines et bassins décoratifs, salles de bain dans les villas luxueuses des bords de mer ou dans les appartements cossus du centre de Rennes. Tout est agencé pour les soins du corps. Bien des trésors restent encore cachés, parfois mal entretenus voire recouverts ou même détruits. On pense que dans cette ville, seulement 30% de ces salles de bain ont été inventoriées. Les motifs liés à l'eau font surface également dans cette poissonnerie, près de la place Sainte-Anne, devenue magasin d'optique. On y a retrouvé dans la cave un très beau crabe en mosaïque aujourd'hui visible au musée de Bretagne. Nombreux sont les lieux, de Roscoff à Angers, du paquebot de croisière « Le Félix Roussel » à la salle de bain d'Isidore fils où les frères Odorico ont aimé représenter l'onde, la vague, la mer, l'écaille, le poisson, le crustacé... Des motifs qui prennent un accent régionaliste puisque liés à la géographie de leur réalisation et à la fonction des lieux qu'ils embellissent. Dans toutes les productions de l'entreprise Odorico, les effets de matière et de couleur sont d'une grande subtilité du fait de la diversité des motifs, de la richesse des contrastes, de la finesse des dégradés en camaïeux, du raffinement des choix colorés. On pense aux teintes de bleu-gris choisies à la piscine St-Georges ou dans certaines salles de bain. La mosaïque est une technique pointilliste qui exige une grande habileté à choisir les tesselles qui vont créer les passages entre les nuances d'une même couleur afin d' obtenir un dégradé qui soit optiquement réussi comme dans la technique picturale divisionniste de Seurat où l’œil opère la synthèse des points colorés juxtaposés. La mosaïque des frères Odorico est bien plus qu'un recouvrement de surface, c'est un chant choral. Gilbert delaunay